"La guerre en Ukraine devrait être le déclic pour nous sevrer du gaz russe"

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Publié le 27 février 2022

Face à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, l'Union européenne cherche à réduire sa forte dépendance au gaz russe. Elle se tourne notamment vers le gaz naturel liquéfié américain. Mais cette issue serait la pire sur le plan climatique car le GNL, surtout quand il s'agit de gaz de schiste, a une empreinte carbone beaucoup plus élevée que le gaz russe. Ce conflit pourrait nous pousser à planifier réellement notre sortie des énergies fossiles et ainsi réduire notre dépendance énergétique.  

Face à la menace d’une rupture d’approvisionnement en gaz russe, sur fond de guerre menée par la Russie à l’Ukraine et de représailles occidentales, l’Union européenne, qui dépend à 40 % de Moscou, cherche une issue de secours. "L'Union européenne doit se passer du gaz russe", avait affirmé Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, une semaine avant le début du conflit. "La Russie n’est plus un fournisseur fiable. Nous devons couper le cordon de la dépendance énergétique", a-t-elle encore répété quelques heures après l’invasion russe.

Et c’est vers le gaz naturel liquéfié (GNL) que les regards semblent se tourner à Bruxelles. Ce gaz présente l’avantage de s’affranchir des distances puisqu’il est transporté par bateau. Fin janvier, les États-Unis, l’un des principaux exportateurs de GNL, indiquaient déjà travailler à "des approvisionnements alternatifs couvrant une majorité significative des potentielles coupes" dans les livraisons russes. Et le Qatar, premier producteur et exportateur mondial de GNL, a fait savoir qu’il était lui aussi prêt à aider l’Europe.

Le GNL, très émetteur de CO2

Outre les problèmes techniques qu’un tel changement d’approvisionnement engendrerait – augmenter les capacités de production des pays exportateurs, construire plus de terminaux méthaniers sur le continent européen – c’est la question climatique qui inquiète. "Il ne faudrait pas que notre volonté d’indépendance énergétique face à la Russie ne se fasse au détriment du climat", prévient Alexandre Joly, consultant senior au sein du cabinet Carbone 4.

En octobre dernier, il a co-publié une analyse comparative de l’empreinte carbone amont (de l’extraction jusqu’au lieu de livraison) du gaz naturel transporté par gazoduc et du gaz naturel liquéfié pour la France. Il apparaît que le GNL est deux fois et demi plus énergivore et donc plus émissif que le gaz transporté par gazoduc. En cause, la préparation du gaz naturel (purification et liquéfaction) en vue de son transport en méthanier, puis le transport lui-même par bateau, et la regazéification du gaz liquide.

Graph empreinte carbone amont GNL @carbone 4

Empreinte carbone amont du gaz naturel par origine et pour un trajet vers la France (gCO2e/kWh PCS). Source : Carbone 4

"Remplacer le gaz russe par le GNL américain, provenant en partie de gaz de schiste, serait le pire des scénarios sur le plan climatique – et ne réglerait pas la question géopolitique de la dépendance", explique Alexandre Joly. "La solution doit passer par une réduction de notre consommation de gaz. Nous pourrions lancer un grand plan Marshall pour sortir le gaz fossile du bâtiment en dix ans. Cela nous permettrait ensuite de choisir les pays exportateurs de gaz les plus sérieux sur le plan carbone et/ou sur le plan géopolitique", ajoute-t-il.

L'industrie éolienne européenne en perte de vitesse

"Nous devons diversifier nos sources d'énergie et investir massivement dans les énergies renouvelables", appelle aussi de ses vœux Ursula von der Leyen. Le problème c’est que pour l’instant, l’UE n’est pas sur la bonne trajectoire notamment sur l’éolien en raison de règles trop complexes et de procédures d'autorisation trop longues. Selon un nouveau rapport de WindEurope, publié le 24 février, l’UE a installé 11 gigawatts d’énergie éolienne en 2021. Or, il faudrait 30 GW supplémentaires par an d'énergie éolienne pour atteindre l’objectif de 2030.

"L'industrie éolienne européenne perd de l'argent, ferme des usines et supprime des emplois juste au moment où elle devrait croître pour répondre à l'énorme expansion de l'énergie éolienne que l'Europe souhaite. Si cela continue, le Green Deal sera en difficulté, sans parler des objectifs de sécurité énergétique de l'Europe", prévient Giles Dickson, PDG de WindEurope.

"Cette crise doit servir de déclic pour nos sevrer du gaz russe et accélérer la transition énergétique. Il faut penser l’après et planifier notre sortie des énergies fossiles au risque sinon de devoir la subir. À terme, il faut se préparer à avoir moins de gaz, russe notamment, car les réserves vont se tarir. Et plus on attend, plus il devient difficile de planifier et ainsi choisir notre transition", conclut Alexandre Joly.  

Concepcion Alvarez @conce1

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