Le Bitcoin, un boulet climatique

Il y a 7 années 664

Du contrat enregistré sans notaire au cadastre sécurisé, en passant par un Airbnb sans clef, les idées fleurissent ces derniers mois dans tous les secteurs de l’économie autour de la blockchain, une technologie popularisée par la monnaie virtuelle bitcoin. Transparente, infalsifiable, décentralisée, elle est de facto protégée des appétits des multinationales et des États. Mais, à l’instar de l’empreinte écologique cachée du web, la blockchain de bitcoin, à laquelle se rattachent la plupart de ces projets, traîne un boulet difficile à dissimuler : des besoins en électricité considérables qui se traduisent par des émissions de gaz à effet de serre préoccupants.

La blockchain de bitcoin n’est, en pratique, qu’un simple livre de compte numérisé. Elle recense l’intégralité des échanges réalisés avec cette devise virtuelle depuis la première transaction, le 12 janvier 2009. Mais contrairement aux registres bancaires, les 70 gigaoctets d’informations qui composent cette chaîne sont "distribués", c’est à dire copiés sur les ordinateurs d’un million de particuliers, selon les statistiques en circulation. L’intérêt de ces doublons repose dans le fait que quiconque souhaiterait modifier les informations qu’elle contient (pour détourner des transactions à son avantage, par exemple) devrait mobiliser autant de capacités de calcul que celles investies dans ce dispositif.

"A ce jour, la blockchain de bitcoin a résisté à toutes les attaques classiques, assure Jacques Favier, fondateur de l’association Le cercle du Coin. Créer une chaîne falsifiée n’est pas impossible, mais demanderait l'équivalent de 100 millions de dollars d’équipement et d'infrastructure." La blockchain de bitcoin mobiliserait la plus grande puissance de calcul au monde : 100 fois celle des serveurs de Google, selon Balaji Srinivasan, patron de la start up 21 Inc. Le stockage et la gestion des opérations représentent cependant une modeste part de la robustesse mais aussi de la consommation électrique du réseau bitcoin. 

Un gouffre énergétique

Pour encourager les internautes à dédier leur capacité de calcul à ce projet, le créateur de bitcoin Satoshi Nakamoto (un pseudonyme, NDLR) a mis en place un concours d'énigme mathématique, du même type que la recherche de décimales de pi. Le premier "mineur" (c'est ainsi qu'on les appelle) à atteindre le chiffre cible défini par un algorithme empoche 25 bitcoins. La difficulté de cette devinette informatique s'ajuste automatiquement pour être résolue en moyenne toutes les dix minutes. Et c’est cette compétition qui est devenue un gouffre énergétique.

S’ils utilisaient au départ de simples cartes graphiques modifiées pour répondre à ces questions, les "mineurs" dépensent désormais des fortunes dans des puces spécialisées dites ASIC (circuit intégré dédié à une application) parfois montées en série dans de véritables "fermes de bitcoin". Des équipements dont on ne peut évaluer la consommation qu'en appliquant un principe de rationalité économique : personne ne va dépenser plus à miner que ce que cela peut lui rapporter.

Deux chercheurs irlandais ont ainsi estimé en 2014 que la consommation électrique du bitcoin se situait dans une fourchette entre 0,1 et 10 GW de puissance électrique. Un chiffre à comparer à la consommation électrique de leur propre pays : 3 GW.

Intensité carbone à la chinoise

Le bilan carbone de la blockchain de bitcoin s’avère lui aussi difficile à estimer, car il dépend des sources d’énergie des mineurs. Cependant, l’emplacement des groupements de mineurs (ou "pools") donne une indication utile : suivant leur contribution au calcul global, les quatre premiers pools (F2Pool, AntPool, BTCC et BW, source Blockchain.info) sont majoritairement implantés en Chine. Lequel présente, selon les calculs du GIEC, l’intensité carbone la plus élevée du monde : 1 050 grammes de CO2 par kWh d’électricité produite.

Or c'est sur cette blockchain que se greffent les espoirs évoqués plus haut : "Bitcoin constitue une sorte de monnaie de réserve, résume Jacques Favier. Plutôt que de constituer une chaîne fragile, des 'sidechains' se créent : elles achètent des bitcoins, enregistrent les données dont les reçus de transaction sont stockés dans le bloc qui est intégré et protégé comme n’importe quelle autre entrée au registre. Un peu comme les devises faibles stockent des dollars pour garantir leur convertibilité"

Ces nouvelles opérations ajouteraient au bilan énergétique de la chaîne. Or, selon le site motherboard, chacune d'entre elles représenterait déjà, en 2015, 1,57 fois les besoins d'un foyer américain: "En plus, ce calcul tourne à vide : il ne s’agit pas d’un logiciel pour concevoir un vaccin ou trouver des trous noirs. Les résultats n’ont aucune utilité pratique, souligne Jean-Paul Delahaye, chercheur en informatique à l’université Lille I. Mais c’est aussi ce qui fait son efficacité : ce coût considérable fait la résistance du système et aussi tout son intérêt." 

Lire la Suite de l'Article