Publié le 20 octobre 2023
Les révélations sur le maintien de la contribution de Technip au projet LNG2 en Arctique après l’entrée en vigueur des sanctions contre la Russie ont commencé à coûter très cher au fournisseur de services parapétroliers. Il a perdu plus de 13% de sa valeur boursière en une seule journée. Les marchés financiers mesurent le poids des risques judiciaires et de réputation qu’entraîne ce type de scandale. De quoi remettre en perspective le choix fait par Technip de préserver le chiffre d’affaires du projet face à la très forte pression de la Russie.
Opérer dans des pays à risque entraine de nombreux compromis qui finissent par constituer une spirale de risques, dont il a longtemps été estimé qu’ils ne pesaient pas lourd face à des contrats mirobolants. Le cas de Technip Energies est de ce point de vue exemplaire. Le Monde a révélé jeudi 19 octobre que l’entreprise avait reculé sa sortie du projet Artic LNG2 malgré les sanctions contre la Russie déclenchées après la guerre en Ukraine. Technip assurait l’ingénierie et le montage de la méga usine de liquéfaction du gaz russe pour produire du GNL.
Ce projet complexe, en pleine Sibérie, où il peut faire moins 50°C, signé en 2019, devait lui rapporter plus de sept milliards de dollars. L’enquête approfondie publiée par Le Monde, basée entre autres sur des courriers internes, des témoignages et des images satellites, montre qu’il y a un décalage entre les déclarations de l’entreprise qui affirme avoir respecté les sanctions européennes et américaines et être sorti du projet au printemps 2023, et la réalité du chantier de construction. Preuves à l’appui, les journalistes racontent la pression exercée, dès avril 2022, par la Russie pour que Technip finisse le chantier.
Risques juridiques
Moscou avait le pouvoir de le faire grâce au montage financier de la structure dans laquelle Technip Energies avait été obligé d’intégrer une filiale russe liée à Novatek, opérateur russe déjà sous sanction américaine à cause de l’invasion de la Crimée. La situation était déjà suffisamment risquée pour que Technip ne prenne pas d’assurance-crédit, ce qui l’aurait exposé à des sanctions américaines potentiellement très coûteuses. La guerre en Ukraine a aggravé les risques liés aux activités gazières en Russie mais tout comme Total Energies, Technip n’a pas voulu renoncer à LNG2. La major pétro-gazière n’a en effet arrêté que ses activités pétrolières en Russie.
"Les activités impactées par les sanctions ont été suspendues au fur et à mesure de leur entrée en application, en particulier à la suite de la publication du cinquième paquet de sanctions européennes le 8 avril 2022, effectives à partir de mai 2022", indique la société dans un communiqué publié jeudi après-midi. Elle explique aussi avoir "réalisé une analyse rigoureuse de tous les équipements exportés, dont les milliers de composants des deux modules de type utilités livrés après mai 2022, afin d'appliquer les codes douaniers appropriés."
Les conséquences de cette affaire pourraient être multiples pour Technip Energies. Les risques juridiques liés au non respect des sanctions sont importants mais flous en ce qui concerne l’Europe. En revanche si l’entreprise est poursuivie dans un cadre juridique américain, cela peut coûter beaucoup plus cher. BNP Paribas en a fait l’expérience en 2014. Elle a dû payer une amende de plus de huit milliards de dollars pour avoir enfreint l’embargo sur le Soudan en faisant des opérations sur le trading du pétrole et du gaz et n’a plus pu travailler avec des institutions américaines. Une somme qui se chiffre en centaines de millions de dollars.
L'exploitation des énergies fossiles de plus en plus scrutée
Si Technip Energies est ciblé juridiquement à la fois pour avoir continué à collaborer avec un pays sous sanction mais aussi aggravé le changement climatique en installant de nouvelles capacités de production de gaz, l’addition pourrait être particulièrement lourde. Ces risques juridiques restent à ce stade des menaces d’autant plus que l’Europe semble elle-même être laxiste sur ses propres sanctions. Elle a passé des accords avec l’Azerbaïdjan - qui n’est pas sur liste noire. Le pays prévoit de lui livrer plus de gaz qu’il n’est capable d’en produire. Force est d’imaginer qu’il vend ainsi à l’Europe indirectement du gaz russe pourtant sous sanction.
Quelles que soient les conséquences payées par Technip Energies pour les conditions dans lesquelles il a fini par sortir de LNG2, cette affaire illustre les menaces liées à l’exploitation des énergies fossiles dans des pays à risque et où les règles de gouvernance de base ne sont pas respectées. Ils hypothèquent les retours sur investissement de ces projets pharamineux. Ils justifient aussi en grande partie la multiplication par des investisseurs de politiques d’exclusion d'entreprises qui réalisent une part importante de leur chiffre d’affaires dans l’exploitation du pétrole et gaz non conventionnels, en particulier en Arctique.
Anne-Catherine Husson-Traore, directrice des publications de Novethic