Pourquoi l'éolien marin est à la traine en France

Il y a 2 années 3892

Par beau temps, on peut apercevoir ses pales qui tournent au large des côtes du Croisic (Loire-Atlantique). En test depuis septembre 2018, l’éolienne marine Floatgen a la particularité d’être flottante. Elle a une capacité d'environ 2 mégawatts (MW) d’électricité, de quoi alimenter 5.000 foyers. Il n’existe qu’une petite dizaine de modèles comme celui-ci dans le monde. Sur ce projet, la France a été particu­lièrement en avance. Mais à ce jour, c’est bien la seule éolienne marine au large de nos côtes. Car l’Hexagone a beau avoir la plus grande façade maritime d’Europe, il ne compte, dix ans après le premier appel d’offres, toujours aucune éolienne marine, à des années-lumière de nos voisins. Le Royaume-Uni exploite ainsi 2.225 éoliennes, tandis que l’Allemagne, au littoral moins étendu que le nôtre, en compte 1.470. En 2007, l’Etat s’était pourtant fixé l’objectif d’une capacité de 6 GW… pour 2020. On en est très loin!

Recours à purger

Promulguée en 2015, la loi de Transition énergétique a établi à 40% la part d’électricité renouvelable en 2030 avec une participation de l’éolien marin à hauteur de 2,4 GW d’ici à 2023 et plus du double en 2028. Mais pour voir des éoliennes marines, il faudra être patient. Avec un peu de chance, le parc éolien

d’EDF installé au large de Saint-Nazaire devrait être opérationnel d’ici environ deux ans. Dans la foulée, les parcs de Dieppe-Le Tréport, Fécamp, Courseulles-sur-Mer, Saint-Brieuc et Noirmoutier (voir carte), devraient sortir de mer, si, d’ici là, tous les recours sont purgés. "Chaque projet a fait l’objet de plusieurs attaques en justice, explique Anne Georgelin, chargée de mission au Syndicat des énergies renouvelable. Or, entre le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel et enfin le Conseil d’Etat, il faut compter sept ans en moyenne de procédure." La récente loi de Simplification administrative devrait permettre de gagner un à deux ans, à l’avenir, en supprimant la juridiction d’appel.

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687 VERITE éoliennes marines

Alors que les premiers chantiers devaient commencer courant mars, les pêcheurs ont décidé de se faire entendre et ce malgré les indemnisations prévues par tous les opérateurs. "Nous avons accepté les projets d’EDF à Courseulles-sur-Mer et Fécamp, mais nous attendons le retour d’expérience sur ces deux parcs pour donner notre aval sur d’autres, pointe Hugo Lehuby, porte-parole du comité régional des pêches de Normandie. Nous voulons connaître l’impact de l’éolien marin sur la ressource. C’est la raison pour laquelle nous sommes opposés au parc de Dieppe-Le Tréport et au projet en baie de Seine." Même tonalité à Saint-Brieuc, où le comité départemental a formulé une demande en annulation auprès d’Annick Girardin, ministre de la Mer: "Nous travaillons en bonne intelligence avec tous les pêcheurs, répond Cédric Le Bousse, directeur énergie marine renouvelable d’EDF Renouvelables, nous avons même positionné l’emplacement des éoliennes sur leurs instruments de bord pour qu’ils les intègrent déjà dans leurs manœuvres."

Subventions contestées

Plus discrètement, plusieurs centaines d’armements de pêche ont porté plainte auprès du Tribunal de l’Union européenne au Luxembourg, il y a un an. Ils dénoncent la décision de Bruxelles de juillet 2019 autorisant les aides d’Etat à hauteur de 20 milliards d’euros pour les six futurs parcs éoliens. "Nous posons la question d’éventuelles subventions croisées des trois parcs de Fécamp, Courseulles et Saint-Brieuc opérés par EDF, pour lesquels l’Etat s’est engagé à racheter l’électricité autour de 150 euros le MW, au bénéfice de Dunkerque, également opéré par EDF, mais près de trois fois moins cher", souligne un proche du dossier. Pour les pêcheurs, Bruxelles n’aurait pas joué son rôle de régulateur de marché. Le tribunal ne devrait pas rendre sa décision avant un an.

Les opérateurs prendront-ils le risque de démarrer les travaux? Et aller ainsi à l’encontre de la doctrine présidentielle? Car Emmanuel Macron est formel: "Il faut que les conflits d’usage soient réglés avant que les parcs ne soient déployés", a-t-il prêché en décembre 2019, lors des Assises de la mer.

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A Dunkerque, c’est l’Etat Belge qui s’est invité dans le débat. Le vice-Premier ministre belge Vincent Van Quickenborne dénonce le projet français de parc à 10 kilomètres des côtes. Dans une lettre envoyée à la Commission du débat public en décembre, il s’inquiète d’une entrave au "trafic aérien, à la sécurité du transport maritime et au secours en mer" de son pays.

Mais la multiplication des recours ne suffit pas à expliquer ce fiasco. "Il a fallu énormément de temps pour que l’Etat mais aussi Engie ou EDF intègrent les enjeux du renouvelable dans le mix énergétique", confie Vincent Balès, le PDG de WPD Offshore France, co-opérateur notamment des parcs éoliens normands. L’Etat lui-même n’est pas bien outillé : on compte à peine dix équivalents temps plein au bureau éolien du ministère de la Transition écologique. C’est peu pour écrire un cadre réglementaire qui n’existait pas. "C’est cinq fois moins qu’au Danemark ou en Allemagne", relève un lobbyiste.

Plan de partage à créer

"Ce qu’il nous manque, c’est de la visibilité à dix ou quinze ans, résume Vincent Balès. Un vrai plan mer de partage de la ressource pour gagner en acceptabilité." L’idée? Planifier une organisation spatiale de la mer en mettant tous les acteurs autour de la table et envisager un partage de l’espace, voire une cohabitation. Un premier document stratégique de façade maritime a déjà été élaboré. Il reste à l’affiner. C’est le job d’Annick Girardin.

Ce Yalta permettrait également d’adapter les éoliennes à la réalité du littoral. "L’éolien flottant pourrait être plus pertinent dans l’Atlantique, aux fonds plus profonds que ceux de la Manche", souligne Vincent Balès. Avantage: le flottant peut être installé plus loin des côtes, capter des vents plus forts, plus réguliers, moins entraver la pêche côtière et disposer d’une facilité de maintenance. "L’éolien flottant à 50 kilomètres des côtes présente tous les avantages et notamment la réversibilité du projet", insiste Fabien Bouglé, auteur du livre Eoliennes, la face noire de la transition écologique (éd. du Rocher), pourtant pas le premier défenseur de la cause! Mais pour l’heure, la France teste toujours son unique exemplaire à Saint-Nazaire.

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